S. m. (Mythologie) quelques-uns prétendent que cette rivière de Phrygie prit ce nom de Scamandre, fils de Corybas, après qu'il s'y fut jeté, ayant perdu le jugement dans la célébration des mystères de la mère des dieux. Le Scamandre avait un temple et des sacrificateurs : Homère parle du sage Dolopion qui en était le chef. (D.J.)

SCAMANDRE, (Géographie ancienne) Scamander, fleuve de l'Asie mineure, dans la Troade ; il prend sa source dans le mont Ida. Pline, liv. V. c. xxx. dit que c'est une rivière navigable, place son embouchure près du promontoire Sigée, et fait entendre qu'il se rend droit à la mer, sans se joindre à aucune autre rivière ; mais Strabon, liv. XIII. prétend que le Simoïs et le Scamandre se réunissent un peu au-dessus du nouvel Ilium, et vont se perdre dans la mer, après avoir formé des marais chargés de roseaux. Quelques-uns soutiennent que le Scamandre prit ensuite le nom de Xanthus ; selon Homère, le nom de Scamandre appartenait au langage humain, et Xanthus à celui des dieux. Quem Xanthum vocant Dii, homines Scamandrum dicunt. Iliad. liv. XX. Ve 73. Quoi qu'il en sait, ce fleuve est fameux dans l'histoire du siège de Troie, et c'est encore à Homère qu'il doit sa célébrité.



Les illustres voyageurs anglais qui nous ont donné les ruines de Palmyre, passèrent quinze jours en 1752 à faire sur les lieux une carte de la plaine du Scamandre en tenant Homère à la main ; c'est sur les bords du Scamandre, nous disent-ils, qu'on trouve de nouvelles beautés dans l'Iliade ; et c'est dans le pays où Ulysse a voyagé, et où Homère a chanté, que l'Odyssée a des charmes ravissants.

Julie, fille d'Auguste, traversant le Scamandre, pensa être submergée par les eaux de cette rivière, que le concours de plusieurs torrents avait grossie tout-à-coup. Elle fit un crime aux habitants d'Ilium de ne lui avoir point envoyé de guides ; et elle ne les avait pas seulement avertis de son passage. Agrippa, mari de Julie, parut fort sensible à ce péril, et condamna les pauvres habitants à une amende de cent mille drachmes, qu'il eut bien de la peine à leur remettre. Je ne crois point que son amitié pour Julie fût la vraie cause de sa colere, car il n'avait pas une grande estime pour elle, mais la politique fut le vrai ressort de sa conduite. Il se fâcha, soit pour faire croire à Auguste, qu'il prenait vivement à cœur les intérêts de Julie, soit pour maintenir son crédit.

Il n'est point libre à un sujet marié avec la fille de son souverain, de négliger la punition de ceux qui manquent à son épouse ; quelque gré qu'il leur en sache dans le fond du cœur, il faut qu'il fasse paraitre son mécontentement. Voilà la raison qui l'engagea à se retracter avec peine de l'injustice de son amende ; il fut ravi qu'Auguste fût instruit de son zèle.

On prétend que les eaux du Scamandre avaient la propriété de rendre blonds les cheveux des femmes qui s'y baignaient ; et que les femmes Troie.nes se prévalaient de cette prérogative qui valut à ce fleuve le nom de Xanthus, au rapport de Pline, liv. II. ch. ciij. On ajoute même que les trois déesses, avant que de se présenter à Pâris pour être jugées sur leur beauté, vinrent se laver dans ce fleuve, qui rendit leurs cheveux blonds.

Mais ce qu'il y a de certain, c'est que les filles de Phrygie dès qu'elles étaient fiancées, allaient offrir leur virginité au Scamandre. Eschines nous en a fait le récit, en nous racontant l'aventure qui l'obligea de quitter la Phrygie avec Cimon, son compagnon de voyage. Il faut l'entendre lui-même.

C'est, dit-il, une coutume dans la Troade, qu'à certains jours de l'année, les jeunes filles prêtes à se marier, aillent se baigner dans le Scamandre, et qu'elles y prononcent ces paroles qui sont comme consacrées à la fête : " Scamandre, je t'offre ma virginité ".

Parmi les jeunes personnes qui s'acquitèrent de ce devoir, lorsque nous vimes cette cérémonie singulière, il y en avait une nommée Callirhoè, bien faite, et d'une famille illustre. Nous étions, Cimon et moi, avec les parents de ces jeunes filles, et nous les regardions de loin se baigner, autant qu'il nous était permis à nous autres étrangers.

L'adroit Cimon désespérément amoureux de Callirhoè, déjà promise à un autre, nous quitte furtivement, se cache dans les broussailles sur les bords du fleuve, et se couronne de roseaux pour exécuter le stratagème secret qu'il avait projeté. Dès que Callirhoè fut descendue dans le fleuve, et eut prononcé la formule accoutumée, le faux Scamandre sort du fond des broussailles, et s'écrie : " Scamandre reçoit ton présent, et te donne la préférence sur toutes tes compagnes " ; alors faisant un pas pour la mieux voir :

Je suis, dit-il, le dieu qui commande à cette onde ;

Soyez-en la déesse, et régnez avec moi.

Peu de fleuves pourraient dans leur grotte profonde

Partager avec vous un aussi digne emploi.

Mon crystal est très-pur, mon cœur l'est davantage,

Je couvrirai pour vous de fleurs tout ce rivage,

Trop heureux si vos pas le daignent honorer,

Et qu'au fonds de mes eaux vous daigniez vous mirer.

A ces mots il s'avance, emmene la jeune fille ravie, et se retire avec elle dans les roseaux. La tromperie, continue Eschine, ne demeura pas longtemps cachée ; car quelques jours après, comme on célébrait la fête de Vénus, où les nouvelles mariées assistaient, et où la curiosité nous avait aussi menés ; Callirhoè aperçut Cimon qui était avec nous ; elle ne se doutait de rien, et persuadée que le dieu était venu là tout exprès pour lui faire honneur, elle dit à sa nourrice : " Appercevez-vous le Scamandre, à qui j'ai consacré ma virginité " ? La nourrice qui comprend ce qui était arrivé, crie, se lamente, et toute la fourberie se découvre. Il fallut au plus vite, ajoute Eschine, nous sauver et nous embarquer.

La Fontaine a fait de cette histoire un de ses plus jolis contes ; je dis de cette histoire, car elle se trouve dans les lettres d'Eschine ; c'est la dixième. L'aventure se passa sous ses yeux ; il censura vivement son compagnon de voyage de cette action criminelle, et Cimon lui répondit en libertin, que bien d'autres avant lui avaient joué le même tour.

On a d'abord de la peine à comprendre la simplicité de Callirhoè. Elle était d'une illustre famille ; elle avait eu sans-doute une éducation convenable à sa naissance. Jamais l'esprit et la science n'avaient paru avec tant d'éclat que dans le siècle de cette aimable fille, cependant les fictions des poètes canonisées par les prêtres, lui avaient tellement gâté l'esprit, qu'elle croyait bonnement que les rivières étaient des divinités, qui se couronnaient de roseaux, et auxquelles on ne pouvait refuser la fleur de la virginité.

Sous l'empire de Tibere, une illustre dame ne fut pas moins simple ; elle se persuada qu'elle avait couché avec Anubis, et s'en vanta comme d'une insigne faveur. Mais comment Callirhoè aurait-elle pu se désabuser de la divinité du fleuve Scamandre, puisque ce fleuve avait un prêtre, que les Troie.s honoraient comme un dieu ? C'est Homère qui nous l'apprend. Iliad. liv. V. vers. 76.

Hypsenora nobilem

Filium magnanimi Dolopionis qui Scamandri

Sacerdos factus fuerat, et dei instar honorabatur à populo.

Quelques modernes ont dit que le Scamandre ne méritait guère la réputation que les poètes lui ont acquise ; mais les voyageurs anglais n'en parlent pas avec autant de dédain que Belon. Le Scamandre pouvait être autrefois plus considérable qu'aujourd'hui ; ses eaux peuvent avoir pris un autre cours, ou par des conduits souterrains ou autrement.

On ne peut guère penser que Pline se trompe, quand il parle du Scamandre comme d'une rivière navigable ; et quand Strabon nous dit que le Scamandre ayant reçu le Simoïs, charriait tant de limon et tant de sable, qu'ils avaient presque comblé leur embouchure, et formé des lacs et des marais ; ce discours ne convient assurément qu'à des rivières un peu considérables. (D.J.)